Lemonde.fr
Les violences sexuelles et conjugales étant un phénomène universel, les réponses pour les combattre peuvent-elles l’être aussi ? L’expérience de Médecins du monde, qui a fait des « violences liées au genre » une de ses priorités, au travers, notamment, d’un programme concernant une dizaine de pays (6,1 millions d’euros, dont 40 % financés par l’Agence française de développement, entre 2007 et 2010), incite à le -penser.
Rassemblés au cours d’un colloque qui s’est tenu, lundi 11 octobre, à Paris, les témoignages des associations avec lesquelles Médecins du monde travaille sur le terrain montrent à quel point le combat des victimes bute sur les mêmes obstacles, en dépit des différences culturelles considérables entre les pays.
Partout s’affiche la nécessité de « rendre visible » – tant dans les statistiques sociales ou policières que dans les textes de loi – ce qui reste encore du domaine du non-dit dans un grand nombre de sociétés.
Au Pakistan, on estime que 80 % des femmes sont soumises à une forme de violence : enlèvements, violences sexuelles, abus, brûlures ou défigurations, crimes d’honneur… Un chiffre « évidemment très sous-estimé, car la loi du silence règne en grande partie », précise Lucie Dechiffre, ancienne coordinatrice du programme Médecins du Monde dans ce pays.
En Haïti, la Concertation nationale contre les violences faites aux femmes, association qui tente depuis 2003 de renforcer les actions des services publics, assure que le nombre de plaintes de femmes n’a cessé d’augmenter dans la dernière décennie. Mais elle admet aussi se heurter « à la collecte de données », explique sa présidente, la gynécologue Nicole Magloire.
En République démocratique du Congo (RDC), quand les Nations unies ont recensé 17 507 violences sexuelles, les rapports de police n’en ont comptabilisé que… 1 862, preuve, selon Françoise Munyarugerero Kabundi, chargée des violences sexuelles au sein de l’inspection générale de la police,« du manque de confiance des femmes envers les institutions, armée, police et justice « .
Impossible de punir les auteurs de ces violences si celles-ci ne sont pas reconnues comme telles dans les sociétés concernées, ce qui est encore souvent le cas pour les violences au sein du couple. En Algérie, la violence conjugale n’est pas considérée comme un délit, a ainsi rappelé le docteur Farida Miloudi.
SILENCE DES FEMMES
Au Pakistan, où, selon Ali Imram, conseiller juridique de Médecins du monde, « la violence conjugale est la plus commune des violences de genre « , les femmes l’accepte comme une fatalité. Un petit nombre d’entre elles trouvent le chemin d’un des foyers Dar-Ul-Amans (littéralement « maisons de la paix ») gérés par le gouvernement et où intervient Médecins du monde. « Plus de 40 % des femmes estiment que cela fait partie de leur destin « , raconte Lucie Dechiffre.
En RDC, une partie de l’impunité qui entoure la plupart des viols et des violences tient au silence des femmes, car « porter plainte, c’est porter sa honte, surtout pour les violences conjugales », explique Julienne Lusenge, présidente de l’association Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral.
La barrière du silence franchi, reste à faire entendre la plainte des femmes, aussi bien auprès des autorités de police que, parfois, des médecins. En RDC,« lutter contre l’impunité, c’est apprendre aux policiers à écrire un procès-verbal », Julienne Lusenge. C’est aussi apprendre aux médecins à rédiger un certificat médical, ce qui n’est pas toujours chose aisée, tant le « déni » s’exerce aussi au plan médical, a expliqué Farida Miloudi.
Reconnues comme « problème de santé publique » par l’Organisation mondiale de la santé depuis 2002, les violences faites aux femmes, où qu’elles s’exercent dans le monde, exigent une approche qui ne peut être uniquement médicale, plaide Médecins du monde, en cela sur la même longueur d’ondes que la très grande majorité des organisations non gouvernementales dans le monde.
Au Pakistan, l’aide apportée aux victimes dans les foyers « est à la fois juridique, psychologique, médicale éducative ». En Algérie, où, selon le docteur Fadhila Chitour, « les violences collectives liées au conflit armé (des années 1990) ont accentué toutes les formes de violences dites ordinaires », le réseau Wassila a monté un service d’écoute téléphonique, cinq jours sur sept, pour recueillir la parole des victimes.
La prise en charge s’y veut également « globale », de la santé jusqu’à l’aide à l’insertion sociale. « Une approche prenant en compte tous les aspects est nécessaire, car on ne peut pas lutter contre les discriminations faites aux femmes sans combattre à la fois les systèmes traditionnel, judiciaire, etc. « , a renchéri Ali Imram.
Brigitte Perucca
Article paru dans l’édition du 13.10.10