La situation en Syrie ne cesse de se dégrader et la violence contre les civils est insoutenable. Les images reçues par les réseaux sociaux sont plus terribles les unes que les autres, comme les récits des réfugiés ou des militants des droits de l’homme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 60 000 morts selon les organisations des droits de l’homme, 700 000 réfugiés et près de 2 millions de déplacés internes selon les Nations unies. Lakhdar Brahimi, médiateur de l’ONU, parle, lui, désormais «de l’enfer» quand les médias lui demandent de qualifier le conflit. Cette guerre est une ignominie : exécutions sommaires, populations prises en otage et bombardées, personnels soignants arrêtés, exécutés, torturés. Pas de refuge pour se protéger. C’est aussi un conflit asymétrique, avec un gouvernement qui utilise la terreur comme arme de guerre et d’oppression, pour abattre une révolution d’abord pacifique lancée dans les rues du pays comme un affront au régime de Damas. Comment peut-on bafouer à ce point les droits humains et le droit international humanitaire ? Comment croire qu’il est possible d’acheminer et distribuer l’aide humanitaire de façon impartiale, alors que selon l’endroit ou selon ses destinataires, elle est elle-même considérée comme une manifestation d’opposition et traitée comme telle ? Soigner est devenu un crime. L’assistance internationale officielle est manipulée par le régime pour servir des intérêts. Assister et soigner toutes les victimes sans discrimination devient une gageure dans un contexte répressif aussi machiavélique. Le débat actuel – comment rétablir l’équilibre entre l’assistance qui arrive dans les zones contrôlées par le gouvernement et celle qui reste toujours attendue dans les zones tenues par les groupes opposants – est nécessaire. Car il permet de mettre à jour le double discours de la communauté des Etats influents de la scène internationale, qui se revendiquent bien souvent «amis de la Syrie». Ils réclament la fin du conflit et le départ du dictateur meurtrier, mais se refusent, dans le même temps, à soutenir aussi l’acheminement massif des secours dans les zones dites libérées. Mais si la dégradation des conditions de survie en Syrie est tragique, ce n’est pas un simple rééquilibrage de l’aide qui mettra terme aux souffrances des Syriens. Nous l’avons appris à nos dépens ces derniers mois.
Dès le début des violences, alors que Médecins du monde était présent de longue date dans la région d’Alep, le gouvernement syrien a refusé de renouveler nos autorisations de séjour et nous a mis à la porte. Nous étions donc condamnés à intervenir hors de Syrie. Ce que nous faisons depuis plus d’un an, dans les pays limitrophes, prenant ici en charge des réfugiés fuyant les violences, appuyant là un centre de rééducation pour des blessés, ou des postes de santé pour les déplacés, soignant aussi les familles traumatisées. C’est insuffisant puisque la majorité des populations sous le feu sont en Syrie.
Alors très vite, nous avons soutenu des médecins syriens, des civils, qui sont venus à nous, et qui, clandestinement, organisent des secours aux blessés et aux malades comme ils le peuvent. Ces confrères risquent leurs vies quotidiennement, se cachent pour soigner dans des centres de santé de fortune. Nous leur fournissons des médicaments, du matériel de soins et de chirurgie. Un travail de fourmi dans un océan de besoins. Les bailleurs étatiques se refusent à financer ces actions par peur d’être accusés d’ingérence. Ce sont les fonds propres de l’association que nous mobilisons et qui permettent de soutenir les groupes de médecins avec qui nous avons tissé une relation de travail et de confiance. Alors que la situation dans le nord du pays rendait possibles des séjours dans des zones moins troublées, nous avons commencé à franchir la frontière, ponctuellement. Nos équipes appuient désormais des centres de soins établis dans un camp de déplacés spontanément constitué en Syrie à proximité de la Turquie. Sans que les déplacés puissent aller plus loin. Des infirmières et des médecins syriens y assurent les consultations avec notre aide. A défaut pour nos équipes de pouvoir se rendre à Alep ou à Homs, nous y faisons parvenir des médicaments.
Mais face à cette tragédie et son lot quotidien de morts et de blessés, nous ne pouvons toujours pas nous satisfaire des actions que nous avons lancées. En juillet, nous avions lancé un appel relayé par les réseaux sociaux (1) pour dénoncer les violences contre les civils, les blessés et les personnels soignants. Aujourd’hui, faute de pouvoir faire plus, nous disons : Halte au feu ! Nous appelons à l’arrêt des hostilités pour porter secours à ceux qui en ont besoin. C’est la seule demande que nous adressons à tous les acteurs armés et aux Etats influents dans la région. Décréter une trêve serait déjà un progrès. Car refuser l’accès des secours est un autre crime de ce conflit que nous nous devons de dénoncer. Rester silencieux, ce serait devenir complice d’un massacre à huis clos dont la récente intervention française au Mali ne saurait détourner notre attention. En Syrie, faites taire les armes et laissez-nous soigner !
(1) www. appelsyrie.medecinsdumonde.org