Dans une lettre ouverte publiée le 23 février, Médecins du Monde dénonce le traitement des Roms expulsés au début du même mois de la Porte des Poissonniers à Paris. Cette expulsion avait eu lieu malgré une décision de justice en faveur de leur maintien. L’organisation humanitaire réclame que les médecins bénévoles puissent terminer les suivis médicaux déjà commencés auprès des habitants du bidonville.
Les faits remontent au 3 février dernier. À 7 heures du matin, les forces de l’ordre ont procédé à l’expulsion des 200 à 300 habitants d’un bidonville du nord de Paris. Or, d’après une lettre ouverte signée par Médecins du Monde, sept jours avant l’expulsion, le Tribunal de Grande Instance de Paris avaitautorisé les familles de la Porte des Poissonniers à occuper les lieux jusqu’au 15 juin 2016. L’argument d’un « besoin de stabilité [des habitants du bidonville] afin de favoriser les actions de santé publique et l’observance des traitements jusqu’à leur terme » avait alors été retenu par les juges.
Stabiliser la population pour favoriser les actions de santé
Le Préfet de Police n’a pas tenu compte de l’avis du tribunal, justifiant cette intervention par des « raisons sanitaires », « liées à la présence de personnes touchées par des maladies graves ».
D’après Livia Otal, coordinatrice « mission bidonville » chez Médecins du Monde, « la préfecture retourne l’argument sanitaire avancé par les humanitaires pour effrayer la population« . En effet, les médecins demandent à l’exécutif de maintenir les Roms dans un lieu circonscrit, « même si un bidonville n’est pas une situation satisfaisante, il permet au moins de continuer le suivi médical et de scolariser les enfants« , précise Livia Otal.
Elle ajoute que pour éviter la propagation de maladies, la seule arme est letraitement des patients, et non leur dispersement, après lequel il sera« très compliqué d’agir et de retrouver les personnes disséminées un peu partout en Ile-de-France« . Selon elle, les hôtels proposés par la préfecture ne sont pas non plus adaptés à la vie de famille : les enfants sont souvent déscolarisés puisqu’ils résident à plusieurs kilomètres de leur école, et les malades ne bénéficient plus du suivi et de l’accueil dans les hôpitaux Robert Debré et Bichat à proximité de la Porte des Poissonniers.
La précarité ne provoque pas de maladies, mais elle les aggrave
Dans le bidonville de la Porte des Poissonniers, Médecins du Monde a coordonné une grande opération de dépistage de la tuberculose avec le Centre de lutte anti-tuberculose (CLAT).
L’intervention de pneumologues et de radiologues spécialisés est indispensable pour diagnostiquer cette maladie. Isabelle Caubarrere, pneumologue, avait dépisté plusieurs patients. Elle nous explique que la présence de cette maladie est dûe à deux facteurs : « le pays d’origine des migrants, où il y a une forte incidence tuberculeuse, et les conditions de vie, qui provoquent le développement de la maladie ». Jeannine Rochefort, déléguée d’Ile-de-France de Médecins du Monde, précise bien que « les migrants n’arrivent pas malades mais sont porteurs sains. Tout le monde est potentiellement porteur du bacille de Koch [1]. On appelle cela une maladie dormante. L’infection tuberculeuse se nourrit du confinement, de l’immunodéficience, de la surpopulation et de la malnutrition« .
Rompre le parcours de soin
La pédiatre Anne-Marie Dandres, qui a aussi participé à l’action de dépistage avec l’aide de la Protection Maternelle et Infantile (PMI), explique qu’expulser la population reviendrait à « casser le parcours de soin« . Elle se rappelle avoir soigné une petite fille de cinq ans, atteinte d’une hernie inguinale, « qui avait rendez-vous en mars pour son opération ». Mais les médecins humanitaires n’ont plus de ses nouvelles depuis l’expulsion. « En attendant, la maladie s’aggrave et, à cause de l’expulsion, l’opération ne se fait pas. Le temps que les personnes passent à chercher un toit et à manger, c’est autant de temps qu’elles ne passent pas à se soigner« , conclut-elle.
Suite à la publication de la lettre de Médecins du Monde, ni le ministère de la Santé, ni celui de l’Intérieur, ni l’adjoint au maire de Paris chargé des questions relatives à la santé, n’ont réagi.