Dans un petit cinéma parisien, l’ONG Médecins du Monde projetait ce mois-ci un documentaire sur le combat mené il y a quinze ans dans les pays pauvres pour l’accès aux traitements du sida. Dressant un parallèle avec la situation actuelle et la problématique des brevets, notamment dans l’hépatite C.
Ce lundi 16 mars, salle comble pour le petit cinéma Studio 28, au nord de Paris. Au programme ce soir, à l’initiative de l’ONG Médecins du Monde : un documentaire présenté en sélection officielle au Sundance Festival 2013 et au Forum social 2015 du Conseil des droits de l’Homme, mais jamais projeté en France : Fire in the Blood. Le récit du combat mené entre 1996 et 2003, en pleine explosion du sida, pour l’accès aux génériques dans les pays en développement, incapables de payer le prix des antirétroviraux brevetés. Un accès que refusaient, au nom du respect de leur propriété intellectuelle, les laboratoires pharmaceutiques occidentaux. Ils venaient pourtant de révolutionner le traitement du VIH en permettant enfin aux patients de vivre avec la maladie, au lieu d’y succomber rapidement.
Les images, tournées en Ouganda, en Afrique du Sud, en Inde, mais aussi aux Etats-Unis, suivent le récit de quelques survivants et des acteurs clés de cette lutte : militants – principalement africains -, ONG, soignants, personnalités politiques, journalistes… Sans oublier deux industriels : le patron du laboratoire allemand Biogenerics et le fabrican indien de médicaments génériques Cipla, présenté en héros. C’est lui qui fera basculer le combat en étant capable de proposer un« prix magique » pour ces génériques : 350 dollars par an par patient, contre 15 000 dollars dans les pays développés.
Le documentaire rappelle les familles décimées en Afrique. Les 10 millions de décès liés au sida entre 1996 et 2003 alors qu’on ne mourrait plus de cette maladie dans les pays riches. Il dénonce le discours des big pharmas, des pays occidentaux et des grandes organisations internationales, convaincus que les plus pauvres ne sauraient prendre leur traitement correctement ou que des génériques entraîneraient forcément de la contrefaçon, voire un refus des patients des pays riches à payer à leur tour plein pot.
LE PROBLÈME DU SUD DEVIENT AUSSI CELUI DES PAYS DU NORD
Et aujourd’hui ? Les accords ADPIC signés en 2006, qui place le contrôle des brevets sous l’égide de l’OMC, ont mis fin à la possibilité pour des pays comme l’Inde de contourner ce droit et de produire des médicaments à bas prix pour les plus pauvres, comme elle le faisait depuis 1970, dénonce le documentaire… « En ce sens, il fait pleinement écho au plaidoyer actuel sur le prix des traitements contre l’hépatite C et contre le rationnement des patients pouvant en bénéficier, complètent, à l’issue de la projection, les experts de Médecins du Monde. Fait nouveau, ce qui était un problème du Sud devient aussi un problème du Nord », alors qu’aux Etats-Unis par exemple, la moitié de la population n’aurait pas de quoi se payer les médicaments qui lui sont prescrits. L’ONG vient de lancer une action à l’échelle européenne pour dénoncer le brevet du traitement Solvadi du laboratoire américain Gilead, véritable innovation dont le prix avait suscité la polémique l’an dernier. Y compris en France où un prix a finalement été négocié avec le ministère de la Santé.
LA POLITIQUE D’ACCÈS DU LABORATOIRE GILEAD QUESTIONNÉE
« Le parallèle entre l’accès aux traitements du VIH il y a quinze ans et à ceux de l’hépatite C aujourd’hui n’est pas juste, nous répond Michel Joly, le président de Gilead France. On peut trouver un équilibre entre la protection de la recherche avec les brevets, qui permet de trouver la rentabilité dans les pays du Nord, sans empêcher l’accès à ceux qui n’ont pas de ressources. En particulier lorsqu’on se lance dans des pathologies dont 90% des malades vivent dans les pays du Sud. » Aujourd’hui, Cipla fait justement partie des huit génériqueurs indiens auxquels Gilead a donné ses brevets et ses méthodes de fabrication pour proposer le Solvadi à 300 dollars le flacon mensuel (contre 13 667 euros en France) dans 91 pays à faibles revenus.
Pour Médecins du Monde, le laboratoire occidental est dans une stratégie de « relations publiques » qui lui permet aussi de contrôler les pays qui ont accès aux traitements fournis par ses partenaires génériqueurs. « Ces 91 pays représentent une centaine de millions de patients sur les 170 millions dans le monde ciblés par notre traitement, réplique Michel Joly. Cela nous a pris des années pour arriver à ce modèle que nous avons initié dans le VIH. Mais aujourd’hui, nous savons qu’il est efficace, et nous pouvons le dupliquer dix fois plus vite. » L’entreprise s’est également engagée à proposer elle-même le Solvaldi à 300 dollars en Inde et en Egypte, les pays à la plus forte prévalence d’hépatite C. Mais elle reste sous la surveillance des ONG, bien décidées à empêcher une nouvelle affaire Pretoria…
Gaëlle Fleitour