Loin des clichés des filles aguicheuses de Pigalle, les « marcheuses de Belleville » restent discrètes et mystérieuses. Venues de Chine, elles se fondent dans le paysage, se cachent au gré des rues, souffrent en silence et ne seront remarquées que par ceux qui voudront bien les voir. Cette prostitution oubliée tend à augmenter depuis quelques années. Inquiets des dérives sanitaires, le Lotus Bus et Médecins du Monde leur viennent en aide.
Le manque d’informations signifie des risques accrus
« Il y a un réel besoin d’information et de sensibilisation », témoigne Tim Leicester, le coordinateur du Lotus Bus. Avec une moyenne d’âge de 42 ans, elles ont été éduquées à une époque où le conservatisme moral et la pudibonderie sexuelle des dirigeants chinois ont fait des ravages : les relations extra conjugales étaient lourdement condamnées, les maladies sexuelles transmissibles niées, et l’épidémie du sida étaient réputée ne toucher que les étrangers. Alors, quelques années plus tard, ces migrantes confrontées à la prostitution pour la première fois sont éminemment vulnérables. « Nous les informons sur leurs droits et nous les aidons à accéder aux soins médicaux dont elles peuvent bénéficier en tant que migrantes », ajoute Tim. Malgré les droits théoriques qui permettent un accès aux soins aux plus démunis, les démarches sont souvent trop complexes pour ces prostituées. En effet, la barrière de la langue et leur méconnaissance totale de leurs droits rend la tache laborieuse. Le Lotus Bus n’est pas uniquement sur le terrain : « On les accompagne à l’hôpital pour voir des spécialistes, ou faire un dépôt de plainte à la police avec un interprète pour réduire la barrière de la langue », précise le coordinateur qui parle le mandarin.
La majorité des prostituées chinoises qui se présentent au Lotus Bus viennent du nord-est de la Chine. Cette région pourtant active et riche en matières premières subit la crise économique de plein fouet. Loin de l’image d’une Chine conquérante, des millions de personnes se retrouvent en difficultés. « Licenciements, faillites, ou divorces qui finissent mal, ces femmes pourtant diplômées pour la plupart, tentent de sauver l’avenir de leur famille, de leur enfants en immigrant vers la France », explique Tim. Pour obtenir un visa et un passeport, ces femmes déboursent 10.000 euros en moyenne. Elles s’endettent à nouveau en promettant de rembourser leurs proches rapidement après quelques mois de travail chez nous. « Elles arrivent avec l’idée d’un salaire de 1 000 euros mensuels. En Chine, c’est l’équivalent d’une année de revenu ».
Leur descente dans un tourbillon de désillusions est sans fin : elles enchaînent des postes sous payés en tant que domestiques dans de grandes familles chinoises installées en France, dans la restauration ou dans des ateliers de couture, mais, au finale, ne s’en sortent pas. Car le salaire est misérable, il est impossible de se loger et de se nourrir à Paris, impossible de rembourser leur prêt en Chine, impossible de subvenir aux besoins de leurs familles. Isolées et désespérées, elles finissent par vendre des service sexuels pour survivre.
Et comme Lan, elles rejoignent les « marcheuses de Belleville » sur les boulevards parisiens.
* les prénoms ont été changés