Pour la première fois, une Conférence Nationale a réuni Etat et ONG pour dresser un état des lieux du secteur humanitaire. Et esquisser une feuille de route pour l’avenir.
Peur de se laisser dicter la priorité des interventions humanitaires par le gouvernement, de travailler dans le sillage des militaires, ou d’être assimilés à une présence post-colonialiste… depuis « les French Doctors » il y a trente ans, les humanitaires ont toujours eu à cœur de maintenir leur indépendance vis-à-vis de l’Etat français, malgré la complexité de l’exercice.
Acted, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Oxfam, Coordination Sud, Handicap International, le Secours Islamique… Toutes les grandes ONG françaises étaient présentes pour poser les bases, mercredi 16 novembre, de ce dialogue avec l’Etat, au cours de la première Conférence nationale humanitaire, à Paris.
Un partenariat nécessaire
Ce dialogue est nécessaire. Et pour cause: c’est bien l’Etat français qui, à travers l’attribution des subventions, a la possibilité d’orienter l’action humanitaire. L’Etat français négocie également les budgets à l’échelle européenne, de plus en plus déterminante pour les ONG. Echo, le système d’aide humanitaire européenne, distribue ainsi 23% de son budget (de 1 milliard d’euros) à des ONG françaises.
C’est enfin l’Etat français qui, il y a quelques jours, a failli mettre à terre un secteur déjà en manque de moyens, en voulant réduire la défiscalisation des dons. Pour finalement rétropédaler: les associations ont eu chaud.
Sur le terrain, ce dernier a aussi la lourde tâche de sauver les humanitaires – l’une des professions les plus dangereuses au monde – lors de kidnappings. Le sujet rend d’ailleurs les deux parties fébriles: « Quand on voit des ONG, qui, par souci d’économie, enlèvent le budget sécurité dans des zones à risque, c’est de la folie. Envoyer des jeunes de 25 ans sous payés en Afghanistan, aussi! », s’énerve le directeur du Centre de crise, Serge Mostrura. « Je suis partie sur le terrain à moins de 25 ans, et j’étais très bien encadrée », rétorque une participante. Même son de cloche de @davidtalonso sur Twitter, où l’on pouvait suivre la conférence avec le hashtag #CNH: « Ce genre de cas reste une exception ».
Entre les ONG et l’Etat, la coopération est donc indispensable… en dehors aussi des crises. C’est ce que préconise le rapport rédigé par Alain Boinet, fondateur de l’ONG Solidarités, et de Benoit Miribel, à la tête d’Action contre la Faim et de la Fondation Mérieux. Ecrite à la demande de Bernard Kouchner, ancien French Doctor alors ministre des Affaires étrangères, cette étude dresse un état des lieux du secteur humanitaire, tout en préconisant cinq recommandations, dont nous vous avions déjà parlé sur Youphil.
Prévenir les crises
Planifier en amont l’aide humanitaire: loin d’être nouvelle, l’idée peut paraître surprenante. Et pourtant, si Haïti n’avait pas déjà été en crise au moment du séisme, l’impact du tremblement de terre n’aurait sans doute pas été aussi terrible. Les ONG doivent donc réagir face aux urgences, mais aussi les prévoir. La Fédération Internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, rappelle ainsi Jean-François Mattéi, président de la Croix Rouge française, a prévu d’allouer 10% de ses ressources aux programmes de prévention des risques.
« Il faut construire une action humanitaire durable, qui irait bien au-delà du temps médiatique, expliquer pourquoi on ne dépense pas tout l’argent récolté dans l’immédiat », déclare l’ancien ministre de la Santé à la tribune. Agir dans l’urgence donc, mais aussi investir dans la reconstruction des institutions locales.
Si les humanitaires veulent se doter d’une stratégie, c’est aussi parce que le contexte d’intervention des ONG a changé ces dernières années: le nombre de catastrophes naturelles augmente, tout comme l’impact de ces désastres.
Certes, les conflits à travers le monde sont moins nombreux, mais ils sont dans le même temps plus complexes et plus implantés, rappelle Kristalina Georgieva, la Commissaire européenne à la coopération internationale. Une action concertée s’avère nécessaire, ne serait-ce que pour définir un secteur aux limites encore floues: aujourd’hui, toute crise est rapidement qualifiée de « crise alimentaire ». Parfois à tort.
« Demain, la Chine financera les ONG françaises »
Ces questions interviennent au moment même où la crise économique risque de bouleverser considérablement le travail des ONG.
D’abord parce que les « bénéficiaires » de l’aide, comme on les appelle pudiquement, seront bientôt les populations européennes elles-mêmes, et plus seulement celles des pays émergents. C’est, après tout, déjà le cas en Grèce.
Ensuite parce que les ressources nécessaires pour leur venir en aide manqueront précisément à ce moment-là: le programme d’aide alimentaire européen, le PEAD, a ainsi été maintenu de justesse il y a quelques jours, et seulement pour deux ans supplémentaires. Les regards des « fundraisers » (chargés de collecter les fonds des ONG) sont donc désormais rivés sur leurs futurs potentiels – et si possibles généreux – bailleurs. « Dans cinq à dix ans, les financements des ONG françaises proviendront des pays du Golfe, de la Chine. Comment le gérer? Nous devons en parler », interpelle Frederic Roussel, cofondateur d’Acted. La piste des financements innovants, comme la taxe sur les transactions financières, reste incantatoire pour le moment.
Un groupe de concertation, annoncé par Alain Juppé, devra donc élaborer une « stratégie humanitaire nationale ». Pour les ONG, il s’agit de donner un cadre à l’aide humanitaire française sans pour autant perdre de vue leur nécessaire neutralité. « Nous ne devons pas être les sous-traitants des politiques », prévient Benoit Miribel. A ce titre, la ligne entre concertation et perte d’indépendance reste ténue.
Crédit: phgaillard2001/FlickR.