KABOUL – La température ne doit pas dépasser les – 5°C, pourtant l’homme gît sur la neige, immobile, bras et jambes nus. En état d’overdose, cet héroïnomane est sauvé in extremis par une équipe de Médecins du monde (MDM), qui tente d’adoucir l’enfer que vivent les drogués afghans.
La scène se déroule le long de la rivière Kaboul, à proximité du pont Pul-i-Sokhta, où se réunissaient jusqu’à peu les toxicomanes de la capitale afghane, qui y venaient par centaines. La police les en a chassés, condamnant ces victimes de la drogue à une vie d’errance, de désolation.
Beaucoup de personnes s’éteignent toujours près d’ici. Chaque matin, nous trouvons un ou deux cadavres, observe Abdul Raheem, de MDM. L’état général des hommes vus et interrogés par l’AFP laisse peu de doute quant à leur incapacité à survivre plusieurs rudes hivers afghans dans une telle indigence.
Chaque nuit, je sens que je vais mourir. Je dors dans le froid. Je souffre, confirme Zaman, dont le regard bleu azur tranche avec un visage rongé par la crasse. Après l’héroïne, je me sens bien. Ca n’efface pas la douleur, ça la réduit. C’est comme un médicament. Je suis malade.
Agé de 25 ans, Zaman a commencé à prendre de l’opium alors qu’il était policier dans la province du Helmand (Sud), l’un des fiefs des talibans. Il est ensuite passé à l’héroïne. Après trois années en Iran, il est revenu à Kaboul, où la drogue est plus facile à trouver, explique-t-il très posément.
Quelques instants plus tard, une seringue plantée dans le mollet, sa tête s’affaisse. Son corps, voûté, dodeline. L’héroïne, qu’il vient de s’injecter, l’a anéanti pour quelques heures. Jusqu’à l’arrivée du manque, qui le pousse à aller chercher l’argent de ses shoots à venir dans les décharges voisines.
Les mêmes attitudes se répètent à chaque mètre. Un homme d’une vingtaine d’années, élégamment habillé, semble incapable de se piquer. Un compagnon d’infortune lui enfonce une seringue dans le cou. Plusieurs groupes d’hommes en guenilles, réfugiés sous des couvertures, aspirent ensemble des volutes d’opium.
Chaque personne qui commence devient comme nous, observe Said Hussein, opiomane. Dans ses doigts tellement noircis qu’on en distingue à peine les jointures, cet ancien militaire montre fièrement sa carte du ministère de la Défense, délivrée dans la région de Kandahar, bastion historique des rebelles.
Quand j’étais dans l’armée, je me battais pour mon pays. Mais mon commandant, mes collègues, se droguaient. C’est comme ça que je suis devenu accroc. J’avais une fiancée. Elle m’a quitté. Maintenant, mon travail, c’est la drogue, souffle-t-il.
Le nez cassé, il regrette, comme tant d’autres, la brutalité policière. Ils nous battent, nous volent notre argent et notre drogue, qu’ils revendent ensuite à d’autres, s’insurge Gul Ali, lui-même ex-policier de 45 ans, dont 20 d’opium et d’héroïne, qu’il a découverts en Iran.
L’Iran est le pays le plus touché par la drogue afghane. Ils veulent exporter cette guerre au sein de la population afghane, pour nous montrer quelles sont les conséquences de la production d’héroïne. C’est politique, dénonce le docteur Sayed Habib, du ministère de la Santé, devant l’AFP.
Chez eux, ils distribuent gratuitement de la drogue aux Afghans, pas aux Iraniens. Nous avons plein de témoignages là dessus, poursuit-il.
En 2011, l’Afghanistan a produit 5.800 tonnes d’opium, matière première de l’héroïne, soit 90% du total des récoltes mondiales. D’après l’ONU, le nombre d’héroïnomanes afghans a triplé entre 2005 et 2009, pour atteindre 150.000, et 230.000 personnes prenaient de l’opium.