Par L’ Obs
Malgré le danger et les drames, des dizaines de candidats au départ tentent leur chance chaque jour pour rejoindre le Royaume-Uni depuis Calais.
Dans la nuit de mardi à mercredi, un migrant soudanais est décédé, percuté par un camion alors qu’il tentait de rejoindre l’Angleterre depuis Calais. Il est le neuvième candidat au départ à perdre la vie en essayant de pénétrer dans le tunnel sous la Manche, en seulement deux mois.
Mercredi, c’était au tour d’un migrant égyptien d’être électrocuté après avoir tenté de monter à bord d’un Eurostar à la gare du Nord.
Alors que les drames se multiplient presque quotidiennement, la compagnie Eurotunnel a indiqué avoir recensé en moyenne 1.500 à 2.000 tentatives d’intrusion de migrants chaque nuit depuis le début de la semaine. Une situation intenable.
Alors, comment expliquer l’attraction qu’exerce encore le Royaume-Uni malgré le danger de la traversée ? Est-elle seulement justifiée ?
Langues, communautés : le Royaume-Uni reste le choix le plus évident
Cela peut paraître simpliste, mais le choix du Royaume-Uni obéit souvent en premier lieu à des raisons pratiques. Une grande partie des migrants qui tentent de rejoindre le pays sont issus de pays d’Afrique de l’Est et d’anciennes colonies britanniques comme la Somalie ou le Soudan. La langue anglaise est donc maîtrisée par les ressortissants de ces pays, qui optent alors logiquement pour le Royaume-Uni comme destination finale.
Ce choix s’explique aussi par l’existence sur place de communautés déjà très organisées. Contrairement à la France, le modèle communautaire prévaut et il peut être perçu par les migrants comme un système qui facilite leur intégration.
« Cela fait partir du ‘pack’ promis aux migrants par les passeurs », rappelle Pierre Henry, le directeur général de France terre d’asile. « Les migrants assimilent les communautés expatriées déjà sur place à une protection supplémentaire. Malheureusement, ils sont souvent confrontés à des systèmes mafieux qui exploitent leur vulnérabilité. »
Pour Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde, l’impact des promesses des passeurs reste tout de même à relativiser :
La majorité des migrants sont jeunes et éduqués. Ils comprennent parfaitement leur situation et ce n’est pas le discours des passeurs qui les motivent. Si certains sont prêts à mourir pour passer la Manche, c’est parce qu’ils n’ont plus le choix et que leurs conditions de vie dans la région de Calais sont déplorables ».
Le marché du travail britannique agit comme un aimant
Au-delà de la langue, l’attractivité du Royaume-Uni est aussi due à la vitalité de son économie. Avec un taux de chômage de seulement 5%, contre plus de 10% en France, le pays offre des perspectives d’embauche supérieures à la moyenne européenne et agit comme un aimant sur de nombreux migrants. La possibilité de travailler au noir facilement est également un facteur d’attractivité. Le travail non déclaré pèserait près de 10% dans le PIB britannique.
En revanche, le système de prestations sociales britannique ne procure pas d’avantage particulier par rapport à ses voisins européens. Un demandeur d’asile majeur sans enfants touche une aide de 36,95 livres (52 euros) par semaine, soit moins qu’en France (11,45 euros par jour).
Comme en France – en principe – le gouvernement britannique fournit un logement et donne accès au système de santé gratuit (NHS) et à l’éducation.
Difficile cependant d’affirmer avec certitude que l’absence de carte nationale au Royaume-Uni facilite l’accès des migrants au marché du travail. Pour travailler légalement, les migrants doivent fournir des documents administratifs aux employeurs britanniques comme le permis de résidence biométrique ou l' »Application Registration Card » pour les demandeurs d’asile. Néanmoins, note le « JDD », il ne s’agit pas d’un obstacle « insurmontable » au travail au noir.
Pour de nombreux migrants, l’absence de carte d’identité reste malgré tout perçue comme un moyen supplémentaire d’échapper aux contrôles de police et à une éventuelle expulsion du territoire.
Plus facile d’obtenir le droit d’asile ? Pas sûr
Il serait plus facile d’obtenir l’asile au Royaume-Uni. L’idée, assez répandue dans l’opinion publique, expliquerait en partie l’attractivité du pays pour les migrants. Pourtant, les statistiques montrent que le Royaume-Uni n’est pas forcément la meilleure des options pour eux. Selon l’institut Eurostat, les demandes d’asile en Union européenne ont explosé en 2014 pour atteindre le nombre record de 625.000. Mais le Royaume-Uni n’est pas en première position, loin de là.
Le nombre de demandes d’asile au Royaume-Uni en 2014 est d’environ 31.000, soit à peine plus de 5% de la demande européenne et c’est l’Allemagne qui enregistre le plus de requêtes – 202.645 environ – devant la Suède et l’Italie – 81.180 et 64.635 demandes.
Concernant les chances de voir leur demandes d’asile acceptées, là encore, l’Angleterre ne fait pas figure d’Eldorado pour les migrants.
Selon Eurostat, les autorités britanniques acceptent ces demandes dans 39% des cas. Un chiffre important si on le compare à la France, où seules 22% des demandes aboutissent favorablement, mais largement inférieur à la Suède et l’Italie, où respectivement 76,8% et 58,5% des demandes sont acceptées en première instance (statut de réfugié, protection subsidiaire ou asile humanitaire).
« L’Eldorado, c’est l’Europe dans son ensemble »
Pour de nombreux associatifs, l’impression d’immigration massive en direction de l’Angleterre serait due à la situation autour de Calais et à la médiatisation – justifiée – qu’elle suscite. L’effet d’engorgement et d’entonnoir rencontré à Calais « est avant tout le fruit de la gestion catastrophique et de la mauvaise collaboration entre la France et le Royaume-Uni », estime Jean-François Corty, de Médecins du monde. « Le Royaume-Uni n’est pas touché par une vague d’immigration d’une ampleur particulière. Son attractivité pour les migrants diminue même au profit de destination comme l’Allemagne ou certains pays nordiques. Pour les migrants, Royaume-Uni ou pas, l’Eldorado c’est l’Europe dans son ensemble. »
Lucas Burel