LE PLUS. « Avec l’immobilier et le pétrole, quel est l’un des marchés les plus rentables ? La maladie. » C’est un des slogans de la nouvelle campagne choc de Médecins du monde, censurée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui craint des « réactions négatives » de la part de l’industrie pharmaceutique. Olivier Maguet, responsable de cette campagne, revient sur ce qui a motivé cette initiative.
Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec
Affiches de la campagne « Le prix de la vie » de Médecins du monde (MDM)
Médecins du monde est une association responsable qui s’inscrit dans un cadre républicain et tape rarement aussi fortement du poing sur la table. Lorsqu’elle le fait, il faut donc partir du principe que ce n’est pas pour rien.
L’idée de l’actuelle campagne, dont je suis responsable, et que les diffuseurs ont refusé d’afficher, part d’une histoire clinique. Parce que Médecins du monde est avant tout une association de soignants souhaitant révéler les inégalités du système de soin.
On a averti l’État du coût intolérable des traitements contre l’hépatite C
Cette histoire, c’est celle des traitements de l’hépatite C, auxquels nous voulons donner accès dans tous les pays. Nous déplorions déjà des prix trop élevés dans les pays du Sud pour les thérapies classiques existantes, inaccessibles pour certains. Nous avons suivi les résultats très prometteurs des antirétroviraux à action directe en 2014, mais ces derniers ont encore plus renforcé la barrière d’accès aux traitements.
De plus, cette barrière habituellement associée aux pays du sud concernait, pour la première fois, également les pays du nord. C’est là que nous avons décidé de travailler davantage sur la baisse du prix des traitements.
Comme pour toute action, nous essayons dans un premier temps de discuter avec les pouvoirs publics, qui fixent le prix des médicaments. Nous les avons interpellés depuis deux ans sur le prix du sofosbuvir (Sovaldi®). Nous avons fait le compte : avec environ 200.000 patients affectés par l’hépatite C en France, ces nouveaux traitements coûteraient 10 milliards d’euros de prise en charge pour la Sécurité sociale. C’est un coût insupportable.
Dans son plan d’économies budgétaires, François Hollande prévoit que 10 milliards d’euros porteront sur l’Assurance maladie. Qu’il baisse le prix des médicaments et il les aura immédiatement !
Brevet, licence d’office : nous avons tenté la voie juridique
Nous nous sommes par ailleurs intéressés à l’histoire des brevets. En Inde, les associations de soignants et de patients avaient convaincu les autorités de rejeter le brevet couvrant le Sovaldi. Pour aller dans ce sens, nous avons donc entamé en Europe une opposition au brevet du Sovaldi en février 2015.
Nous avons également demandé au ministère de la Santé d’émettre une licence d’office pour ce médicament, dispositif prévu par l’article L613-16 du Code de propriété intellectuelle, permettant d’autoriser la fabrication de génériques à prix réduit. Je cite :
« Les brevets de ces produits, procédés ou méthodes de diagnostic ne peuvent être soumis au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique que lorsque ces produits, ou des produits issus de ces procédés, ou ces méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique (…). »
Autrement dit, des critères qui s’appliquent parfaitement au Sovaldi. Or cette loi n’a jamais été appliquée en France.
Deux ans se sont écoulés avant que nous obtenions une réponse des pouvoirs publics suite à cette requête. C’était il y a un mois, lorsque la présidente de Médecins du monde a rencontré Marisol Touraine. Sa réponse ? La licence d’office est « un instrument juridique faible ». Pourquoi cette loi existe-t-elle, dans ce cas ?
Face à l’inaction, une seule solution : cette campagne
Lorsque nous ne sommes pas entendus par les pouvoirs publics, il nous reste deux solutions : la voie juridique et la mobilisation de la population. La première a été lancée avec l’opposition au brevet mais n’est pas suffisante. Nous avons alors décidé d’employer une autre arme : le choc de l’opinion.
À travers notre campagne, nous voulons mettre en lumière le constat d’une dérive du prix des médicaments, que le Sovaldi a révélé, mais qui est déjà à l’œuvre depuis plusieurs années.
Le but n’est pas de taper sur les labos : nous en voulons aux États
Nous ne sommes pas contre le profit, qui finance les travaux de recherches et développement et la stabilisation d’emplois. Mais il n’est pas normal que le bénéfice net (après déduction des dépenses) de Gilead, le laboratoire qui a développé le Sovaldi, se soit élevé à 12 milliards de dollars en 2014 !
Que les industries pharmaceutiques cherchent à maximiser leur profit dans le temps le plus court possible, cela est dans leur logique. C’est bien pour cette raison que le marché est régulé et que les États ont une marge de manœuvre.
En réaction à notre campagne, le Leem, qui regroupe les entreprises françaises du médicament, a fait valoir que l’État était seul responsable de la fixation des prix. Voilà un point sur lequel nous sommes d’accord : notre but n’est pas de taper sur les industries pharmaceutiques – d’autres l’ont fait avant nous et ça n’a pas fonctionné – mais de demander à l’État de reprendre la main sur le marché opaque des médicaments, souffrant de dérives systémiques auxquelles il faut absolument mettre fin.
Les laboratoires sont dans une logique absurde de rendement à court terme qui conduit inexorablement à la ruine. Nous en voulons surtout aux gouvernements d’avoir laissé faire ça.
Le refus d’afficher notre campagne nous donne raison
Nous ne sommes pas candidats à la résignation. Aujourd’hui, taper du poing sur la table est devenu le seul moyen de nous faire entendre.
Le refus d’afficher notre campagne ne va pas nous décourager, au contraire : cela nous montre que nous avons appuyé là où ça fait mal et qu’il ne faut pas changer de cible. Ce 15 juin à 15h30, la pétition que nous avons adressée à la ministre de la Santé dépasse déjà les 125.000 signatures sans campagne d’affichage !
Nous demandons aujourd’hui un véritable débat démocratique et citoyen, une réelle transparence pour réinstaurer une confiance et permettre un accès des traitements existants au plus grand nombre.
Propos recueillis par Rozenn Le Carboulec.