NTERVIEW – François Pernin est chef de service urologie à l’hôpital de la Miséricorde d’Ajaccio, mais aussi membre de la délégation régionale de Médecins du Monde, président de la Coordination inter-associative de lutte contre l’exclusion (CLE) et membre du Collectif contre la précarité (CCP). Intervenant au Festival du vent, il veut attirer l’attention sur la montée de la pauvreté, sous de nouvelles formes, et touchant des personnes jusque-là épargnées…
Quelles sont les différences entre pauvreté, précarité, exclusion?
Dans la pyramide des besoins de Maslow, le premier étage représente les besoins vitaux (se nourrir, se loger…). Quand ils ne sont pas assurés, on est dans la pauvreté. Le deuxième étage, c’est le besoin de sécurité, de vivre sans incertitude ni angoisse. Sans cela, on est dans la précarité. L’exclusion, c’est quand la société ne voit plus une personne.
A quoi voit-on la montée de la pauvreté en France?
Tout simplement avec les statistiques. Les courbes montent, mais les politiques demeurent inadaptées.
Quelles sont les formes de la précarité actuelle, qui sont les plus vulnérables?
Il y a de plus en plus de travailleurs pauvres, qui ont un salaire insuffisant pour vivre. Les personnes âgées en situation de pauvreté, les immigrés pauvres, les familles mono-parentales, ou encore les enfants qui héritent dès leur premier jour de la pauvreté de leurs parents. Et puis les sans-papiers, qui sont dans l’exclusion absolue.
Il est aujourd’hui plus rapide de passer d’une vie «normale» à la précarité?
Oui, différents facteurs peuvent s’enchaîner très vite: chômage, faillite, divorce, dépression, alcool, problèmes de santé, perte de lien social, solitude… Il ne faut pas oublier que la pauvreté tue. On ne la supporte pas longtemps.
Est-ce que la pauvreté est différente dans les villes et dans les espaces ruraux?
Elle est moins visible dans les villages, mais elle est présente. Les gens ont une maison, mais cela peut être un logement insalubre. La grande solitude ne se voit pas non plus.
La Corse n’est plus épargnée?
Non, et ce dans un contexte de boom du tourisme et du foncier: il manque 9000 logements sociaux mais nous accueillons chaque année 3 millions de touristes.
Quelles sont les causes de cette montée de la pauvreté?
Tout est là, la pauvreté est structurelle et on continue à vouloir la résoudre en faisant la même chose. Il existe un mécanisme mondial, lié au système économique dont le but est la finance et pas l’homme, sur lequel on ne peut pas vraiment agir. La situation est un raz-de-marée qui entraîne pertes d’emplois et délocalisations. Un mécanisme national engendre plus de perte de lien social et familial ou des problèmes sur le marché du logement. N’oublions pas que le passage à l’euro a été difficile pour beaucoup. Des facteurs régionaux, et une immense complexité des parcours personnels jouent aussi.
Quelles sont les lacunes de la prise en charge de la pauvreté?
Le problème n’est pas seulement d’améliorer les prises en charge mais d’identifier et d’inverser les causes. Il faut se demander pourquoi les gens tombent dans la pauvreté.
Comment agir?
L’intelligence, c’est ce dont on se sert quand on ne sait plus ce qu’il faut faire. Les acteurs administratifs, associatifs, politiques s’ignorent trop. Les champs de compétences doivent être redéfinis. Einstein disait : «c’est une folie de croire qu’en utilisant les mêmes méthodes, on obtiendra un résultat différent». Il faut donc changer nos méthodes de travail et mobiliser l’intelligence collective! La coordination inter-associative de lutte contre l’exclusion en est un exemple. Une Charte régionale de lutte contre l’exclusion devrait ainsi être signée bientôt, pour définir des axes politiques: améliorer les prises en charge, mais aussi et surtout identifier clairement les mécanismes pour les inverser.