La formation médicale « classique » n’aborde que très marginalement le caractère complexe et multifactoriel de telles situations.
Leur expression et les mécanismes qui y conduisent sont variables, et nécessitent des approches spécifiques pour une prise en charge efficace.
Sur fond de crise économique, sans attendre la grande précarité, s’exprime dans la pratique la notion d’« inégalités sociales de santé » (ISS) qui aboutit à ce que l’espérance de vie globale de la population française connaisse une différence statistique moyenne de neuf ans selon que l’on est un ouvrier non qualifié ou un cadre supérieur. Ce constat a largement contribué à alimenter le débat et le conflit sur l’âge des retraites, à travers la notion de « pénibilité » du travail. Cette composante de l’environnement global d’un individu joue en effet un rôle primordial sur sa santé.
À partir de 2003, d’abord à Grenoble, puis aujourd’hui dans différentes villes de France (Lille, Paris,Strasbourg, Clermont-Ferrand,Montpellier, Bordeaux), des équipes régionales de Médecins du monde ont accompagné la création de diplômes
d’université « santé-solidarité-précarité », pour répondre au déficit de formation en la matière dans les facultés de médecine de ces différentes villes.
L’étude préalable à la création du diplôme mis en place à Grenoble avait révélé que de telles formations avaient existé, puis étaient lentement tombées en désuétude, avant de disparaître, faute d’étudiants pour suivre les enseignements (tel fut le
cas à Bordeaux, Lyon et Paris en particulier).
Il convenait donc de comprendre les raisons de ces échecs, alors même que la réalité sociale et économique de notre pays, comme les échanges avec les acteurs de terrain, confirmaient le manque en la matière.
L’analyse révéla en particulier la méconnaissance profonde des universitaires de médecine à l’égard des acteurs et des institutions en demande de telles formations. Peu de professeurs de médecine connaissent en effet la place primordiale de
la santé scolaire, des centres de santé,de la PMI, des cadres sociaux territoriaux,du secteur associatif dans l’accès à la santé des populations les plus vulnérables, comme peu de jeunes professionnels de santé connaissent la notion d’inégalités
sociales de santé au sortir de leur formation.
La création de ces formations vise donc à répondre à différents objectifs:
Créer un enseignement spécifique pour répondre aux nécessités de la prise en charge de la santé de populations fragiles ou en grande précarité ; Mettre en place une formation qui soit également l’occasion de mélanger les métiers, les approches et les institutions qui interviennent sur ces questions ; Renforcer chemin faisant la coordination des acteurs de terrain ; Responsabiliser et associer de façon participative le plus grand nombre possible d’institutions différentes
qui agissent auprès des populations fragiles. Elles ont été associées aux différentes étapes de la construction des diplômes : validation initiale du besoin, définition des contenus pédagogiques et des modalités de l’enseignement, contribution
aux cours, inscription d’étudiants qui émanent de ces institutions; Ouvrir les facultés de médecine et faire admettre par les doyens comme par les CTE (commission technique de l’enseignement) l’intérêt de tisser des alliances professionnelles
sur ces questions et, chemin faisant, permettre l’obtention des diplômes de troisième cycle enmédecine à des « non-médecins ».
Fort heureusement dans chacune des universités qui disposent aujourd’hui d’une telle offre de formation,il s’est trouvé des universitaires et des doyens suffisamment sensibles ou expérimentés sur ces questions pour apporter leur soutien et leur
caution scientifique à la mise en place des enseignements, y compris dans l’ouverture à d’autres métiers.
Ceux-là savent que la complexité des situations et des entraves à la santé des plus fragiles ne peut s’appréhender
par la seule intervention du corps professionnel des médecins.
Dans la même dynamique, et de façon complémentaire, plusieurs facultés de médecine, souvent en lien avec les mêmes acteurs de Médecins du monde, ont mis en place des modules optionnels proposés aux étudiants du deuxième cycle des
études médicales.
Ces formations connaissent également une fréquentation croissante.Reste à travailler sur ce qui constituait
dès le départ le troisième volet de la démarche, plus ambitieux et plus difficile au regard de l’évolution exponentielle des connaissances que doivent acquérir les jeunes médecins : rendre obligatoire dans le cursus universitaire des cours sur la
notion d’inégalités sociales de santé.
Il s’agit là d’un chantier qui reste en devenir, mais qui sur le fond réinscrit la médecine dans son double équilibre entre sciences « dures », physique, chimie, physiologie (…)et sciences sociales, sociologie, psychologie(…).
Pari ambitieux, mais chantier incontournable pour que les professionnels de santé puissent être sensibilisés sur les réalités et les nécessaires approches que requiert l’accès à la santé des populations vulnérables.
Cette évolution des études facilitera en outre les débats que connaît la profession médicale sur des sujets tels que l’exercice en secteur 2, la liberté d’installation, les dépassements d’honoraires, les refus de soins…
Une vaccination précoce avant la prestation du serment d’Hippocrate qui sera, dès lors, une ultime « piqûre
de rappel » éthique avant la vie active. N’ayons pas peur de dire que dans ce domaine l’immunité se construit également
après plusieurs injections.