Et si on faisait confiance aux étrangers?

A l’occasion de la journée internationale des migrants, ce 18 décembre, Christophe Adam et Brigitte Maitre, Médecins du Monde, rappellent que «la politique sécuritaire est un non sens en terme de santé publique. Un non sens éthique et économique».

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puceinvite.jpgEn octobre 1986, en pleine cohabitation, l’Etat français expulsait 101 Maliens, inaugurant la reconduite à la frontière comme le point phare et visible de sa politique de régulation de l’immigration, loin derrière l’aide au développement. Outil renforcé et légitimité par tous les gouvernements qui se sont succédé, de droite ou de gauche, sans pour autant modifier les flux migratoires. Dix ans après, l’évacuation de l’église Saint-Bernard, à Paris, occupée pendant deux mois par 210 Africains en grève de la faim, symbolisait l’impossibilité d’une lecture cohérente et d’un discours public vrai sur l’étranger, à l’origine de cette impasse et de sa conclusion violente.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Les chiffres de reconduite à la frontière sont brandis comme les témoins de l’efficacité d’une politique dont tous les experts dénoncent  l’inefficacité et le coût démesuré.

L’immigré, le sans-papiers, le migrant, l’étranger semblent toujours au centre de notre vie politique, sans prise en compte pour autant de la complexité des mécanismes fondant les migrations et ce à un moment où les nations occidentales abusent du marché planétaire, où l’assouplissement des règles du commerce international renforce certaines injustices. Les raccourcis, la stigmatisation, l’utilisation électoraliste de questions pourtant essentielles rendent illisible toute expression clairvoyante ou raisonnée, d’une lecture universaliste des droits humains et du concept de libre circulation.

Depuis la création de la mission France en 1986, les équipes bénévoles et salariées de Médecins du Monde travaillent auprès des migrants. Car ils font partie, à côté des travailleurs pauvres, des malades marginalisés, des oubliés du marché de l’emploi ou du droit au logement, des personnes isolées, tous précaires et exclus de notre société. Par solidarité et par engagement, les acteurs de MdM s’impliquent pour une idée de l’homme et de ses droits fondamentaux, dont celui d’être soigné.

Aujourd’hui, nos équipes développent des programmes de soins spécifiquement à destination de la population migrante, en France, au Mali, en Turquie, et grâce à notre réseau international un peu partout en Europe. Avec nos partenaires, nous observons les maux de l’exil, les impacts négatifs du voyage, des traumatismes subis. Nous interrogeons nos pratiques, nous tentons de déconstruire nos référentiels de soins et de prévention, pour répondre au mieux aux nécessités de cette population diverse et fragile. Nous essayons enfin de témoigner qu’un homme ne quitte pas son pays pour abuser d’un autre, mais pour survivre…

La journée internationale des migrants, ce 18 décembre, est l’occasion pour nous de partager ce qui nous mobilise et nous indigne.

Il vaut mieux prévenir que guérir! C’est moins cher et plus efficace. La migration subie est un drame. Dans le Calaisis, face aux falaises anglaises, la volonté des jeunes Afghans, des Somaliens, des Erythréens arrivés dans ce cul de sac au terme d’un périple incroyable, est un témoignage fou qui donne aux acteurs associatifs de tous bords la force de s’engager sans limite. Pourquoi laisser ces hommes et ces femmes dans ce marasme? Pourquoi ne pas accompagner cette énergie vitale? Pourquoi ne pas la saisir? Pourquoi vouloir la briser par cette chasse policière? 30% des sans domiciles présents sur le territoire français sont des migrants. Ils mobilisent des dispositifs sociaux et médico-sociaux inadaptés pour eux, incapables de répondre, ou le faisant grâce à la mobilisation acharnée des équipes, aux demandes ou spécificités de cette population sans statut administratif stable. L’absence de droits potentiels ou la complexité des procédures d’accès aux droits (l’application du règlement européen Dublin 2 et les règles d’ouverture de l’aide médicale d’Etat en étant les exemples les plus flagrants) créent des impasses, mêlant anxiété, fragilités antérieures et celles liées à la vie précaire. Nous dépensons alors  beaucoup d’argent pour sauver ces vies fragilisées ou pour les maintenir en vie…

La politique sécuritaire est un non sens en terme de santé publique. Un non sens éthique et économique. Accompagner vaut mieux que nier. Jouer la carte de l’accompagnement, de l’intégration, de la médiation, c’est faire le bon choix. C’est faire confiance à l’Autre, parier sur son avenir, sa capacité à construire son quotidien, malgré un cadre restreint. Croire aussi qu’il sera porteur demain, de ses projets, et en capacité d’intégrer l’espace collectif pour y être source de développement et de richesses.

Comme soignants, nous y croyons! Nous y croyons sans naïveté car nous connaissons les bénéfices des stratégies de soins partagées, de la place de concepts comme le bas seuil d’exigence, de l’alliance ou de l’éducation thérapeutique.

Il est sûrement temps d’inventer des approches plus structurantes de notre modèle d’intégration républicain ou d’accompagnement social. Mais n’acceptons plus ces discours d’exclusion qui ne se concluent que par des échecs coûteux et exigeons de penser autrement nos espaces de solidarité, notre approche des vulnérabilités individuelles et des migrations humaines contraintes dans un monde ouvert et globalisé.

Face aux équations de la complexité, n’oublions jamais que la liberté, la fraternité et l’égalité sont des valeurs de résolution incontournables de notre République.

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/181211/et-si-faisait-confiance-aux-etrangers

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