Que reste-t-il du feuilleton de l’été sur le dossier Rom ? Localement, les acteurs doutent
Ils craignent des expulsions. Un démantèlement. Pour eux, ce serait un échec vis-à-vis des hommes que l’on malmène certes, mais aussi, au regard du travail social qui se fraye un passage entre les méandres de la loi française. David Bridier est coordinateur régional à Médecins du monde, Laurent Séban, pédiatre et bénévole dans la même organisation, sur la « mission Rom ».
Devant eux, posé sur une table gît le dernier communiqué de presse distribué après l’intervention du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, à propos de l’assouplissement des mesures transitoires touchant les Roms et les Bulgares. Un texte jauni au Stabilo. David Bridier et Laurent Séban travaillent sur le terrain, entre Bordeaux et la Communauté urbaine de Bordeaux.
« 500 à 600 dans la CUB »
Les Roms et Bulgares ne sont pas des dossiers que l’on traite, une question politique, mais des hommes, femmes, des enfants qu’ils touchent avec leurs mains. Alors, cette position du gouvernement socialiste ne les satisfait pas. « L’accès à l’emploi est la solution, elle ne passera que par la levée des mesures transitoires totale et non partielle. La France craint un afflux de population dans le cas de cette levée, or, on le sait, dans les pays européens où ces mesures transitoires n’existent pas, il n’y a pas eu de phénomène de ce type. Les Roms et Bulgares qui vivent à Bordeaux et sur la CUB sont entre 5 et 600 depuis plusieurs années. Les mêmes familles, le même nombre. La politique de découragement instaurée par le gouvernement précédent n’a pas marché. Donc, il vaut mieux travailler à l’intégration, arrêter les expulsions sans solution de relogement ni d’amélioration des conditions sanitaires. »
Stabilité avenue Thiers
L’accès à une couverture médicale et à la scolarisation sont, selon eux, les seuls facteurs d’intégration des familles et de stabilisation. Laurent Séban : « Bordeaux est un îlot. Il y a une stabilité dans le squat avenue Thiers, la mairie avec les associations et les institutions a fait un travail d’accompagnement médico-social, notamment grâce à la médiation financée par la Ville. Cenon, Gradignan, Villenave, Pessac ont expulsé et du coup, les gens ont été recueillis à Bordeaux. Mais tout n’est pas rose. Avenue Thiers, la population présente des projets de vie très hétérogènes, avec des parcours d’intégration à maturation différente. Question de rythme. Il faut diagnostiquer au cas par cas. Je déplore, malgré la bonne volonté de Bordeaux, un manque de concertation entre les intervenants : CCAS, Médecins du monde, CPAM, Ville, ARS. Il faut que toutes les villes de la CUB se sentent concernées. Une table ronde s’impose, avec un suivi d’actions. »
À la mairie de Bordeaux, Alexandra Siarri connaît la situation du camp de l’avenue Thiers. Adjointe aux nouvelles précarités, elle est de tous les débats. Les deux médiateurs, Jérôme Lobao et David Dumeau, tous deux issus du milieu associatif militant, ont été engagés pour faciliter un trait d’union, entre les populations roms et bulgares et la ville.
« J’ai regretté, accuse Alexandra Siarri, que durant tout l’été, pendant ce débat sur les démantèlements, il n’ait jamais été question de médiation. Nous savons à Bordeaux combien c’est indispensable. On ne sait rien des programmes à venir. Démantèlement ou pas ? On parle du phénomène rom, mais quid des gens ? Il faut agir de façon avisée, adaptée, pourquoi pas jusqu’à l’expulsion. Pour un élu, c’est compliqué de trouver l’équilibre entre le fait de soutenir les bonnes volontés et sanctionner ceux qui ne sont pas en règle. En clair, il faut aider ceux qui souhaitent s’intégrer et pas ceux qui troublent l’ordre public. Au cas par cas. »
Tensions depuis Evry
Le clivage bon et mauvais élève ne convient pas aux acteurs de Médecins du Monde. « Les gens ne sont pas prêts en même temps, affirme David Bridier. À Bordeaux, après l’expulsion lundi matin du camp de Roms d’Evry, le climat est tendu. » « Clairement, on craint pour le squat de la Faïencerie, reprend Laurent Séban. D’un jour à l’autre. La question de la salubrité, de l’hygiène, doit être réglée vite. Les enfants que j’ausculte sont victimes d’une mauvaise hygiène de vie, du manque d’eau courante, d’électricité. Les pathologies respiratoires, dermatologiques, gastro-alimentaires se multiplient. C’est urgent. »
« Je suis étonné que le sujet des Roms mobilise une heure du Premier ministre, commence Christophe Adam. Le sujet a priori concerne 15 000 personnes sur tout le territoire. Les enjeux dépassent le thème, ils sont d’ordre politique. Une heure pour dire que les mesures transitoires seront allégées, certes, un mieux, mais franchement on a accouché d’une souris. Ce qui se joue derrière la question de fermeté, donc de démantèlement des squats, c’est le soutien du Premier ministre à son ministre de l’Intérieur. À mon sens, la question Roms va bien au-delà, en réalité, nous travaillons sur la question des Européens pauvres. L’Europe est un espace libre, comment répond–elle à cette problématique ? Il y a des mouvements de populations pauvres au sein de l’Europe. Comment gérer ? »
Échanger les expériences
Pour le trésorier de Médecins du monde, « la chose positive à retenir de cet entretien tourne autour de la concertation, poursuit le médecin. Nous devons aller vers une lecture interministérielle du problème. Échanger avec les autres pays. Échanger à l’intérieur du nôtre et tricoter des solutions en fonction du contexte. Prenez Bordeaux. Il faut que l’ensemble des partenaires apprennent à bosser ensemble, ce n’est pas le cas aujourd’hui. La Gironde compte environ 700 Roms. On n’est pas les plus mauvais en terme d’accueil, grâce à Bordeaux, qui est plutôt parmi les bons élèves en France. Les deux médiateurs désormais financés par la ville de Bordeaux font un travail de terrain indispensable. »
Cohabitation compliquée
Pour lui, les médiateurs « permettent une régulation avec la population, parce que c’est compliqué de faire cohabiter les gens dans leur quartier, avec un camps de Roms. Il peut y avoir des nuisances, du bruit, du dérangement. Les modes de vie sont différents. Dans ce cas, les médiateurs interviennent aussitôt, ils apaisent de nombreux conflits. En même temps, ils connaissent les personnes dans les camps, chaque famille, chaque cas trimballe une histoire, un parcours, un désir de s’en sortir. Ils savent la complexité des situations. Expulser ne peut être la solution. Le squat de l’avenue Thiers est en ce sens un modèle atypique, intéressant, quoi que fragile. On peut parler d’une construction, d’une piste d’avenir. On a les moyens, l’intelligence d’aller plus loin. Pour cela, les élus de terrain doivent être relayés et soutenus. En substance, le Premier ministre a demandé aussi ce travail de concertation. »
Selon Christophe Adam, « il faut faire tomber les craintes, les peurs. Les lieux d’accueil doivent être intégrés à l’espace urbain, en acceptant pour l’instant des constructions alternatives, tolérer un bas seuil d’exigence. Les pauvres de l’Europe nous concernent ».
I. C.