Thierry Brigaud, président de Médecins du Monde raconte l’horreur de la crise humanitaire en Syrie et l’urgence pour la communauté internationale d’y répondre.
En 2013, j’avais pu rejoindre, avant Noël, le nord de la Syrie pour inaugurer un centre mère-enfant. Au milieu de l’effroi de la guerre civile, il restait un espace tenu qui permettait aux humanitaires internationaux d’accompagner et de soutenir les efforts des Syriens qui luttaient contre la guerre, des Syriens qui faisaient le pari de la solidarité.
Déjà, les témoignages entendus nous glaçaient le sang : torture, disparitions forcées, bombardements de populations civiles… En 2014, le professeur Henry Laurens, du Collège de France, introduisait dans nos débats la notion de « fabrique de réfugiés » à propos du conflit syrien. Quatre ans après le début du conflit, les témoignages de nos équipes qui travaillent en Syrie confirment que cette fabrique tourne toujours à plein régime.
L’horreur de cette crise humanitaire est indescriptible. Personne n’ose en prédire la fin. Pire, en s’exportant, le chaos syrien a rattrapé l’échec irakien. Certains acteurs armés font de la violation des droits humains leur signature. La mise en scène et en images d’actes de barbarie sème l’effroi et la terreur. Les populations toujours plus nombreuses fuient sans perspective de retour. On parle aujourd’hui de plus de quatre millions de réfugiés et les déplacés internes seraient deux fois plus nombreux, probablement 8 millions.
Dans ce contexte de guerre civile durable, Médecins du Monde déploie des moyens accrus pour répondre au mieux aux demandes des populations. C’est la proximité, le co-agir, le partage des savoirs, qui nous guident pour être le plus pertinent possible dans nos interventions. En Jordanie et au Liban, nous continuons des activités de soins de santé primaires et de prise en charge des problèmes de santé mentale.
Nous développons aussi des activités en Turquie où plus de deux millions de réfugiés sont désormais présents. Dans la zone kurde irakienne, avec le soutien d’anciens partenaires, nous prenons en charge des déplacés « Yezidis ». Les témoignages et les récits de leur fuite sont bouleversants. En Irak et en Syrie, nos équipes soignantes sont elles-mêmes essentiellement composées de professionnels déplacés. Les contraintes de sécurité sont énormes.
« Tergiversations européennes »
Alors comment expliquer au monde les risques de laisser se développer un chaos contagieux qui ne peut qu’engendrer plus de violences, plus de folies meurtrières ? Comment dire à nos responsables politiques que sans négociations véritables, ce huis clos effrayant va contaminer tout le bassin méditerranéen ?
Pourquoi ne pas accueillir de façon beaucoup plus massive des réfugiés qui fuient toutes ces violences ? Comment ne pas être scandalisé quand on essaie de nous faire croire que l’Europe ne peut pas organiser d’opération de sauvetage digne de ce nom en mer Méditerranée ?
L’impression d’impuissance que donnent les dirigeants de l’Europe est grave. Ce ne sont pas les humanitaires qui ont la clé des solutions. Le HCR (Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés)pourrait organiser ce sauvetage en mer, si les dirigeants européens continuent de tergiverser. Les Nations unies ont la responsabilité de protéger les populations civiles en Syrie, en Irak.
Il y a urgence à prescrire plus de protection, plus de solidarité, plus de fraternité.