« La protection de la population mondiale doit passer avant la logique du profit »

« La troisième voie proposée par la directrice générale de l’OMC n’est qu’une nouvelle réponse de  ‘business as usual’ orchestrée par les intérêts des principaux détenteurs de brevet, et par cela,  semble détourner l’attention des véritables solutions pour l’élargissement des capacités mondiales de production, déclare le Dr. Philippe de Botton, président de Médecins du Monde France. A ce propos, l’Inde et l’Afrique du Sud ont proposé de lever quelques dispositions des accords sur les Aspects de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, notamment les droits d’auteur, les dessins et modèles industriels, les brevets et les secrets d’affaires. Obtenir un consensus autour de ce texte devrait être la solution privilégiée par l’OMC ».

En laissant le contrôle des technologies sur les vaccins et autres technologies de santé aux détenteurs des brevets, les pays à revenus élevés confient la réponse à la crise Covid-19 à une poignée d’acteurs du secteur privé qui décident quand, où et à qui distribuer le vaccin. Cela confirme l’impuissance des Etats à se pencher sur les véritables solutions fondées sur la coopération et les priorités de santé.  

Dr Florence Rigal, Médecins du Monde : « Le don ? Une manière de ne pas se résigner »

Trésorière du conseil d’administration de Médecins du Monde, le Dr Florence Rigal rappelle que l’ONG française a été fondée par des médecins et défend les valeurs profondes d’une médecine guidée par la dignité humaine. Que ce soit sur le terrain ou par le don, elle a permis depuis 40 ans à de nombreux médecins de s’engager. Interview.
 

Médecins du Monde fête ses 40 ans cette année. Quand l’association est née en 1980, quels étaient ses liens avec le monde médical français ?
 
Ceux qui ont créé Médecins du Monde sont des médecins français, les liens sont donc constitutifs et historiques ! Très longtemps, le conseil d’administration n’a compté presque que des médecins ayant en commun cette volonté de soigner mais aussi de témoigner des situations vécues sur le terrain. Pour que les choses bougent, il faut pouvoir témoigner auprès de l’opinion publique, mais aussi des institutions et de divers acteurs en France et dans le monde.
 
Les médecins sont (encore) très écoutés. Votre mission est donc aussi d’alerter ?
 
Tout à fait, c’est pourquoi nos volontaires présents au Rwanda avant que le génocide ne se produise en 1994 ont raconté la violence qui montait et relayé des témoignages de personnes prises dans le drame. Quelques années plus tôt, en ex-Yougoslavie, Médecins du Monde a également été un témoin important des violations de droits humains. Nous sommes médecins, nous parlons toujours de ce que nous voyons, des effets sur la santé des personnes ou de l’inexistence ou des dysfonctionnements des systèmes de santé. Nous pouvons dénoncer aussi parce nous agissons sur le terrain.
 
Et quel est le rôle du donateur dans ce combat ?
 
Toutes les actions dont je parle ne sont possibles que parce que des donateurs souhaitent que l’on agisse. Médecins du Monde est une organisation médicale qui s’est bâtie avec ses donateurs. Notre responsabilité sur le terrain est d’honorer les dons, dons qui nous permettent en même temps de maintenir un lien vivant avec la société. Dans les années 1990, ce que nous avons entrepris autour de la réduction du risque pour les usagers de drogue, en pleine épidémie de VIH/sida, a permis par la suite de convaincre des institutions, alors qu’elles refusaient jusque-là de financer ce type de programme. Mais pour faire bouger les lignes, il faut des sous ! Les dons permettent d’acquérir une indépendance financière et donc politique. Cette indépendance nous permet alors d’intervenir très vite face à une urgence ou de bâtir des programmes de long terme, comme nos programmes santé et environnement au Népal ou encore aux Philippines, parfois difficiles à faire financer. Nous les portons d’abord sur nos fonds propres avec l’idée qu’un jour, il y aura un relais. Les dons sont une force pour entreprendre.
 
Sur le terrain, quelle est la vision médicale défendue par Médecins du Monde ?
 
Nous n’arrivons pas dans un pays pour imposer notre manière de voir, une méthode ou des équipes, puis repartir subitement comme nous sommes arrivés. A l’international, nous faisons en sorte d’impliquer les acteurs locaux, en premier lieu desquels les médecins. Nous apportons un peu de formation, bien sûr, puis nous nous articulons avec le local : nous recrutons local et nous nous adaptons aux manières de travailler et au système de soins sur place. Le but n’est pas de transposer mais de s’adapter et d’impulser un changement. Ensuite, par la formation notamment, nous cherchons toujours à transmettre et pérenniser des savoir-faire, aussi bien dans l’acte que dans le protocole ou l’organisationnel. Nous avons même fait venir en France des médecins étrangers pour les former dans le cadre de l’opération chirurgicale Sourire dédiée aux enfants nés avec des fentes labio-palatines. Comme disait Francis Blanche, « il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » ! Pour y parvenir, cultiver une vision solidaire de la médecine est indispensable.
 
Au fond, ce sont les valeurs profondes de la médecine ?
 
Oui, je crois. Choisir d’être médecin, c’est agir pour le bien des autres et pour leur dignité. Mais comme tout le monde ne peut pas s’engager sur le terrain, un bon moyen de le faire est de devenir donateur. Attention ! Il ne s’agit pas de se débarrasser du sujet, mais de participer à une action collective. Le don, c’est du concret et une manière de ne pas se résigner.
 
Envie de donner ?

Les Etats Généraux de la Migration appellent à ne pas voter la loi asile et Immigration.

 

« Nous vous appelons à ne pas voter cette loi. Il faut cesser cette guerre aux migrants. C’est avec eux que nous ferons la société de demain »… Vendredi matin, ces mots, adressés aux députés, ont résonné au foyer de l’Arve (Paris 15e) pour la deuxième conférence des Etats généraux des migrations (EGM). Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International, a prononcé cet appel au nom de son association ; mais aussi au nom du mouvement national d’associations et de regroupements de citoyens qui chaque jour viennent en aideaux migrants un peu partout en France et se sont réunis dans ces EGM. Un appel qui a déjà été porté localement, mais que les députés ont trop souvent décliné, refusant les rencontres de terrain avec le monde associatif, a regretté David Saunier, de l’Assemblée locale de Caen, au profit ici ou là de la visite plus médiatique d’un centre de rétention.

Pourtant, ce large mouvement populaire, qui regroupe 440 associations nationales, locales ou simples collectifs, aurait aimé leur expliquer qu’il se bat pour une autre politique migratoire que celle du gouvernement. Tous savent bien que le projet de Gérard Collomb, que Vanina Rochiccioli, présidente de Gisti (Groupe d’information et de soutien aux immigrés) qualifie de « texte de police qui ne règle rien », sera voté rapidement.

Mais ils croient que la vision qu’ils portent sera gagnante sur le long terme parce que « dans le projet de loi, il manque le fait de considérer les immigrés comme des sujets et non comme des objets » résumait vendredi Dominique Noguères, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui reste persuadée que « donner des droits aux migrants, ce n’est pas retirer des droits aux Français ». Et si tous savent ce combat contre la vision du ministère de l’Intérieur perdu à court terme, le regroupement d’énergies veut d’abord faire savoir, à ceux qui en doutaient, que l’accueil est possible dans la France de 2018.

Alors, sur le terrain, autour des hébergements, des campements, le long des frontières aussi, chaque jour des bénévoles nourrissent, soignent, aident au quotidien des nouveaux venus à qui l’administration n’offre pas de protection. Comme l’a déploré Patrick Bouffart, médecin pour Médecins du monde, « on gère aujourd’hui dans les rues la sous-humanité qu’on a créée, l’auto exclusion qui se développe et se développera encore, car la loi qui passe au parlement est pathogène »… C’est de tout cela, qu’ils veulent témoigner. Continuer la lecture

Pour Médecins du Monde « tout est fait pour montrer aux migrants qu’ils ne sont pas les bienvenus » Crise des migrants

Le docteur Jean-François Corty, directeur des Opérations Internationales de Médecins du Monde, condamne la politique du gouvernement en matière d’accueil des migrants. Dans son livre, La France qui accueille*, qui sort le 18 janvier prochain, le Toulousain veut montrer que le pays reste solidaire et que des solutions pour l’accueil existent.

Emmanuel Macron se rend ce mardi à Calais pour y rencontrer notamment les associations d’aides aux migrants. En tant qu’association, quel est votre point de vue sur la politique menée par le gouvernement en matière d’immigration ?

C’est une politique très agressive qui est dans la continuité de celle menée par les gouvernements précédents, que ce soit de droite ou de gauche. Cette politique met en difficulté les migrants, les aidants, remet en question le principe de l’asile et utilise des méthodes qui ne respectent pas les droits fondamentaux.  Tout est fait pour créer des conditions de dissuasion, pour montrer aux migrants qu’ils ne sont pas les bienvenus. Sur les 100 000 demandes d’asile de 2017, seulement la moitié ont été reconnues comme valables. Actuellement, les autorités sont prêtes à utiliser la violence, à détruire les abris à Calais, à gazer les sacs de couchage, pour empêcher l’arrivée de nouveaux migrants.  Continuer la lecture

L’Iglou, un abri pour dormir au chaud à Bordeaux

Un Iglou pour abriter les personnes à la rue quand il fait froid. L’idée peut paraître saugrenue. Sauf que l’Iglou en question n’a rien d’un igloo en glace comme on en trouve dans le grand Nord. Il s’agit d’une structure en mousse pour permettre aux sans-abris de passer la nuit au chaud.

 

Cet Iglou a été mis au point par Geoffroy de Reynal. Alors qu’il rentrait d’une expérience professionnelle à l’étranger, ce jeune ingénieur, qui vit à Bordeaux, a été choqué de voir des personnes à la rue en France. Il réfléchit alors à une solution pour permettre aux SDF de s’abriter du froid. « Je me suis toujours dit qu’il était possible de garder la chaleur du corps avec une isolation suffisante », explique le jeune homme. Il imagine donc une structure minimaliste de deux mètres de long sur 1,20 m de large et 1,20m de hauteur. Une sorte d’igloo donc, dans lequel on se glisse pour la nuit. L’abri est en mousse de polyéthylène, un matériau utilisé pour éviter les chocs dans les transports et aussi isolant que la laine de verre ou le polystyrène mais beaucoup plus souple. L’intérieur de l’Iglou est recouvert d’aluminium pour lui éviter de prendre feu.

Une dizaine d’Iglous distribués

Pour proposer ses Iglous aux personnes qui en avaient besoin, Geoffroy de Reynal a fait appel à l’expertise de Médecins du Monde. L’association intervient dans une vingtaine de squats et de bidonvilles de la Métropole et connaît bien les problématiques de la rue. Morgan Garcia, le coordinateur de la mission squats a suivi le dossier. « La structure ne nous a pas semblé appropriée pour les personnes à la rue. C’est trop volumineux. Mais cela peut convenir pour les squats. Il y a des gens qui sont dans des situations de très grande précarité mais qui peuvent conserver quelques biens parce qu’elles vivent dans des hangars désaffectés ou dans des cabanes.» Continuer la lecture

Migrants – Daniel Bréhier : « Le parcours d’émigration les a cabossés »

DÉCRYPTAGE. Comment appréhender la détresse psychologique des migrants ? Une question peu évoquée mais qui s’avère cruciale.
Daniel Bréhier, psychiatre à Médecins du monde, nous l’explique.
PROPOS RECUEILLIS PAR AGNÈS FAIVRE
Publié le  | Le Point Afrique

Discuter avec lui, c’est un peu comme cartographier la répression à travers le monde, situer les conflits politiques, ethniques ou religieux en cours. Il pourrait être analyste en géopolitique, Daniel Bréhier. Mais il est psychiatre. Chaque jour, il consulte au Centre d’accueil de soin et d’orientation (CASO) de Médecins du monde à Saint-Denis, en Île-de-France. Retraité de la fonction publique en 2011, il travaille depuis pour cette ONG, fondée en 1980 par des anciens de Médecins sans frontières. À cette époque, une bande de médecins et journalistes veut rendre plus visible la situation des « boat people » vietnamiens, et leur venir en aide.

La prise en charge médicale des migrants s’est perpétuée tout au long de l’histoire de Médecins du monde. Elle intègre une aide psychologique. À son arrivée en 2011, Daniel Bréhier recevait des Pakistanais menacés par les talibans, quelques réfugiés d’Inde et du Bangladesh, et des Ivoiriens « craignant des exactions d’anciens chefs rebelles », dans le sillage de la crise politique ivoirienne de 2010-2011. À cette période, les routes migratoires à travers le Sahara et la Méditerranée existaient déjà. « Mais on en parlait moins », dit-il. Aujourd’hui, ses patients sont surtout des migrants originaires du continent africain, passés par la Libye. Pour Le Point Afrique, il revient sur les maux dont ils souffrent, et sur ce périple destructeur.

 

Daniel Bréhier est médecin psychiatre au Centre d’Accueil de Soins et d’Orientation (CASO) de Saint Denis, et responsable de la Mission mineurs étrangers à Paris de Médecins du monde. © DR Continuer la lecture